Catherine Kikuchi / Nonfiction
Source - http://www.slate.fr/story/115333/travail-femmes-moyen-age
Miniature tirée d'un manuscrit de La Cité des dames de Christine de Pizan attribuée au Maître de la Cité des dames, BNF | via Wikimedia Commons (domaine public)
Le travail féminin au Moyen Âge n'était pas relégué à la sphère domestique, bien au contraire!
La journée internationale des droits des femmes est régulièrement l’occasion de revenir sur les avancées de la condition féminine, et le long chemin qui reste encore à parcourir. L’un de ces serpents de mer, que l’on retrouve régulièrement dans les journaux le 8 mars ou à l’occasion de tel ou tel rapport, reste la différence de salaire entre hommes et femmes. Si l’on a arrêté, depuis un certain temps déjà, d’affirmer que cette différence se justifie par la plus faible capacité physique et intellectuelle des femmes, certains continuent à expliquer qu’elle se justifie par les grossesses et les inévitables congés que celles-ci qui suivent. Ce débat n’est pas récent: les femmes ont souvent été payées à des salaires bien inférieurs à ceux des hommes. Le Moyen Âge ne fait pas exception; cela ne veut pas dire que le travail des femmes avait moins d’importance dans la société.
On entend peu ces femmes dans les documents médiévaux. Peu de témoignages directs, encore moins de voix qui s’élèverait contre les différences de traitement. Elles sont justifiées par une inégalité, pensée comme naturelle, entre homme et femme. Le travail de la femme est le plus souvent considéré dans l’ombre de celui de son mari.
Femmes des villes, femmes des champs
Pourtant, ce serait une erreur que de croire que les femmes du Moyen Âge ne travaillaient pas, bien au contraire. À la campagne, elles participent activement à la gestion d’une exploitation agricole, travaillent dans les champs, tiennent une basse-cour et vendent ensuite à la ville les produits de la terre en surplus; si leur travail salarié est relativement rare et circonscrit aux périodes de pénurie de main-d’œuvre, il permet malgré tout à l’unité familiale de vivre.
En ville, rares sont les familles qui peuvent se permettre d’avoir des bras inutiles à nourrir: la femme travaille aux côtés de son mari dans l’atelier, elle a parfois son métier propre, tient un étal sur la place publique. Elle représente un revenu supplémentaire ou une main-d’œuvre complémentaire dans le cadre de l’entreprise familiale dont il n’est pas possible de se passer.
À Venise, on trouve même un statut de «mercantessa» ou marchande à part entière. Cela donne lieu à quelques success stories… À la fin du XIVe siècle, une certaine Lucia dite ab auro a réussi à faire carrière seule, pratiquement sans capital de départ, en tant que marchande de feuille d’or. Elle emploie ses propres apprentis, tient sa boutique, conclut des contrats avec des hommes et s’associe avec sa fille, Franceschina, en lui enseignant le métier ainsi que les connaissances nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise. Ce cas n’est pas si exceptionnel: il est au contraire révélateur d’un statut que les femmes peuvent acquérir, indépendamment de leurs pères ou de leurs maris.
Dénigrer le travail des femmes pour leur barrer la voie
Le travail de la femme n’a jamais été accessoire, même si on voudrait nous le faire croire. Si, dans les sociétés médiévales, le mari est le plus souvent le représentant légal de son épouse et davantage présent dans les sources, cela ne veut pas dire qu’elle ne travaille pas à parts égales avec lui.
Le retrait, voire le renfermement, des femmes dans la sphère domestique n’est venu que tardivement, dans un contexte de crise à la fin du Moyen Âge, où les femmes se sont progressivement vu refuser l’accès au marché du travail: une fermeture qui a lieu, selon les historiens, entre le XVe et le XVIIe siècle. Le dénigrement du travail féminin a suivi son cours, pour aboutir au XIXe siècle à la victoire des valeurs bourgeoises qui cantonnent la femme au domaine domestique, à élever leurs enfants et s’occuper de leur mari. Mais –faut-il le rappeler?– les milieux populaires et ouvriers n’ont jamais eu le luxe d’appliquer ces valeurs, qui ont pourtant triomphé dans la société.
Longtemps, les syndicats ont été embarrassés par le travail féminin, qui enlevait les emplois aux hommes et donc leur fierté de nourrir leur famille. Aujourd’hui encore, on continue d’entendre hommes politiques et intellectuels affirmer que le travail d’une femme n’est qu’annexe par rapport à celui de son mari, qui est, lui, le véritable pourvoyeur de la famille. Et peut-on oublier la réaction de certains qui, s’étonnant de la candidature d’une femme à la présidence de la République, se demandaient «qui allait garder les enfants»? Derrière la reconnaissance du travail des femmes, leur reconnaissance salariale notamment, se cache également la question de leur autonomie et de leur accès aux responsabilités.