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Jeu de paume : "L'héritage du jeu des rois inadapté à la révolution"

Propos recueillis par Anthony Hernandez

Source - http://www.lemonde.fr/sport/article/2012/10/30/jeu-de-paume-l-heritage-du-jeu-des-rois-inadapte-a-la-revolution_1782967_3242.html

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Le jeu de paume ne compte plus en France qu'environ 250 licenciés et cinq salles où le pratiquer. Considéré comme le roi des jeux au XVIe siècle, son déclin a été spectaculaire. Patrick Clastres, historien du sport et auteur de Paume et tennis : XVe-XXe siècle, abat les mythes qui collent à cette pratique désuète et retrace la saga de ce sport en France.

Certaines sources datent l'apparition des jeux de balles en Grèce antique. Est-ce fiable ?

Patrick Clastres : il s'agit d'une pure affabulation, qui illustre le mythe d'une Europe née en Grèce. Entre le jeu de ballon pratiqué par Nausicaa et ses servantes sous les yeux d'Ulysse, ou bien telle frise grecque où se devine une sorte de jeu de crosse, et la soule ou la paume, il n'existe aucune filiation. Toutes les civilisations ont eu leurs jeux de balle, décrits pas les voyageurs des temps modernes, qu'ils se rendent en Amérique du Nord ou au Japon. Ces jeux avaient bien plus qu'une fonction ludique, ils constituaient un rituel lié à l'affrontement, à la guerre, à la mort.

De quand datez-vous alors les prémices du jeu de paume ?

Les jeux de pallone (balle frappée avec un gantelet de fer) et de paume (balle frappée avec la paume de la main, puis avec une raquette) sont attestés pour les XIIIe et XIVe siècles, c'est-à-dire au moment du grand essor urbain européen. Et il existe presque autant de règles qu'il y a de lieux de pratique. Il faut d'ailleurs attendre l'année 1555 pour que le prêtre italien Antonio Scaino tente de mettre un peu d'ordre dans cette confusion. Le XVIe siècle peut être considéré comme l'apogée de la courte paume : 40 jeux existent à Orléans au moment où Rabelais y fait ses études, Paris en compte probablement 250 sous Henri IV. C'est peut-être le moment où s'opère la distinction entre courte et longue paume, celle qui se joue en intérieur (devant une cinquantaine de spectateurs au maximum) et celle qui se pratique en extérieur. 

Que pensez-vous de la théorie qui fait de la paume une pratique d'abord populaire récupérée et adaptée ensuite par la noblesse ?

Là encore, rien ne permet d'avancer de telles certitudes. Etait-ce d'abord populaire ou bien noble ? A la campagne, et dans les faubourgs, on jouait à la longue-paume, sur de grands terrains, et cette pratique s'est maintenue jusqu'à la fin XIXesiècle en Picardie notamment. En ville, ces jeux d'étudiants et de jeunes novices induisaient des troubles à l'ordre public, ce qui explique peut-être que des investisseurs ont alors construit des salles couvertes. De son côté, la noblesse a converti la paume en une nouvelle forme d'harmonie corporelle où elle peut faire la démonstration de sa force et de sa prouesse, mais aussi de sa promptitude et de sa souplesse.

Le jeu de paume a en tout cas été considéré comme le sport des rois.

Oui, au XVIe siècle, la paume devient incontestablement le jeu des princes d'Europe, notamment des princes français. Des salles de courte paume surgissent alors dans les châteaux de la Loire, et dans la capitale et ses abords. On se préparait à la guerre par un tel entraînement : certaines techniques pouvaient s'apparenter à de l'escrime et tout un vocabulaire technique est commun aux "deux armes".

Connu comme le "Vert galant", Henri IV est aussi le roi-paumier par excellence. Et s'il a conquis son royaume face aux Grands, c'est par la supériorité de ses armées, mais également parce qu'il a su imposer sa puissance physique. Sa propagande, qui vise à lui rallier le peuple parisien, rapporte qu'il lui arrivait même de jouer à la courte paume contre des roturiers.

Les paris et la prostitution ont gangréné le jeu de paume...

Prenons le problème à l'envers. La popularité de la paume s'explique par le fait qu'elle se prête fort bien au pari du fait de l'incertitude du résultat. Les "tripots" sont à la fois des salles de paume, des maisons de jeux et de paris, des tavernes, et des lieux de prostitution. Le jeu est progressivement régulé, transformé en règle, notamment pour éviter les controverses et les rixes. Les salles de paume sont un de ces lieux où la loi du roi n'est pas respectée.

A qui ou à quoi peut-on attribuer le déclin de la paume ?

Le jeune Louis XIV est le dernier Bourbon-paumier. L'étiquette de la cour qui est la forme visible et symbolique de l'Etat moderne ne peut s'accommoder, en effet, d'un souverain en débraillé, suant et transpirant, jusqu'à pouvoir être mis en échec. Louis XIV a remplacé la paume par les jeux de société, comme le billard et le loto. En cascade, la grande puis la petite noblesse se sont retirées d'une pratique jugée comme dépassée. Et puis, leur monopole royal a permis aux maîtres-paumiers de cacher les secrets de leur supériorité.

Comment est-on passé de 400 à 500 salles de paume au XVIIe siècle à entre 3 et 5 au XXe siècle ?

Dès lors, les salles de paume ont été reconverties en salle de théâtre. Molière y a fait ses premières sorties. La salle du jeu de paume de la rue Thubaneau à Marseille, fouillée par l'Inrap, est exemplaire : elle est transformée en théâtre, puis en salle de concert, et enfin en hammam. Malgré un retour de la paume sous le Second Empire, ce n'est plus qu'un long déclin : trois salles de jeu de paume ont survécu à Fontenaibleau, Paris XVIe et à Bordeaux, avant la naissance récente de deux clubs dans le sud-ouest à Pau et à la Bastide-Clairance.

Comment peut-on expliquer que la paume soit si confidentielle en France (250 licenciés) alors qu'elle est beaucoup plus vivace en Angleterre, aux Etats-Unis ou en Australie ?

N'oublions pas que la France révolutionnaire et républicaine ne pouvait guère récupérer l'héritage du "jeu des rois". Les élites de la Belle Epoque n'avaient plus qu'à se tourner vers la mode anglaise du tennis. Et puis, fondamentalement, les élites anglo-saxonnes ont toujours combiné coutumes et modernité, la tradition jouant un rôle de compensation culturelle et de distinction. On y intègre l'élite en entretenant des pratiques désuètes.

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