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La découverte de nouveaux sites préhistoriques remettent en question la date de la présence humaine en Amérique

Frédérique Boursicot 

Source - La découverte de nouveaux sites préhistoriques remettent en question la date de la présence humaine en Amérique (msn.com)

Aa1dawg9La découverte de nouveaux sites préhistoriques remettent en question la date de la présence humaine en Amérique© Wikimedia Commons

Quand les Amériques ont-elles été découvertes ? On ne parle pas ici de Christophe Colomb mais bien des tout premiers humains à avoir y mis le pied. La réponse est d’importance car l’Amérique, c’est le dernier continent occupé par l’homme moderne. "C’est l’ultime conquête de Sapiens ! Elle recèle donc une grande puissance symbolique", rappelle Michael Waters, directeur du centre pour l’étude des premiers Américains, au Texas. Pendant longtemps, le scénario semblait clair. A la fin de la dernière ère glaciaire, les populations Sapiens avaient franchi le détroit de Béring, entre l’Alaska et la Sibérie, qui était alors une longue langue de terre émergée. Puis, ils avaient profité de l’ouverture, vers 13 500 avant aujourd’hui (Before Present en anglais, abrégé BP), d’un corridor entre les deux immenses glaciers qui recouvraient le Canada, pour gagner les actuels Etats-Unis avant d’essaimer sur tout le continent. En 1929, dans la ville de Clovis au Nouveau-Mexique, on découvre de pointes de projectiles en pierre. Voilà les premières traces d’occupation humaines en Amérique !

Mais quelques décennies plus tard, cette théorie s’effondre. Des sites préhistoriques plus anciens et plus au sud ont été découverts sur le continent. En 1976, à Monte Verde, au Chili, les archéologues découvrent des bifaces (outils de pierre taillée) et des lances en bois dans des couches remontant à 14 500 BP, un millénaire plus tôt. Après des années de débat, un consensus scientifique finit par être adopté, la date de la première présence humaine en Amérique est repoussée. Désormais, c’est la chronologie dite "intermédiaire" qui fait référence (contre la première théorie devenue la chonologie "courte"). Elle indique une arrivée à partir de 18 500 BP, toujours par la Béringie, puis les hommes ont ensuite longé la côte pacifique. Fin de la querelle ? Pas du tout ! Depuis les années 1980, on a découvert des ossements d’animaux portant des marques de boucherie (des stries dues au raclement par une pierre contre l’os) en Uruguay, à Arroyo del Vizcaino, site qui date de 30 000 BP. Egalement, des pierres taillées au Brésil (Pedra Furada, 40 000 BP) et, l’année dernière, au Mexique (dans la grotte de Chiquihuite, 30 000 BP), laissant supposer une arrivée humaine bien plus ancienne.

Mais si les critiques avaient été nourries lors du premier "allongement" de la chronologie, elles sont cette fois beaucoup plus virulentes. "Soit ce sont nos conclusions sur les données lithiques qui sont contestées, soit nos datations qui sont remises en question", rappelle Christelle Lahaye, professeure en géochronologie à l’Université de Bordeaux et qui a établi des datations sur certains sites sud-américains. Certains chercheurs peinent même à publier leur recherche. "La simple mention de données anciennes rend nos publications scientifiques invalides pour certaines revues, américaines notamment", déplore Antonio Pérez-Balarezo, doctorant à l’Université Paris-Nanterre, qui fouille, au Brésil, aux côtés d’Eric Boëda, l’un des tenants de la "chronologie longue".

Mais quel est le problème ? "Nous n’avons pas la preuve formelle que les objets découverts soient d’origine humaine", explique Yan Axel Gomez Coutouly, chargé de recherche au CNRS, responsable de la mission archéologique française en Alaska. Ainsi, les stries sur les os d’animaux pourraient être dues à du charognage de bêtes sauvages et la taille des pierres à des chutes naturelles fortuites. "Sur le site de Pedra Furada au Brésil, les pierres qui semblent taillées se trouvent au pied de falaises de 100 mètres de haut d’où tombent en permanence des galets, argumente Yan Axel Gomez Coutouly. Or, ce qui nous est présenté comme artefacts n’est qu’une sélection parmi ces cailloux tombés, ce n’est pas assez probant."

A propos de ces pierres de la discorde, une autre théorie a émergé. Et elle ulcère les partisans de la chronologie longue. Ces cailloux auraient été taillés… par des singes ! En effet, des biologistes ont remarqué que les capucins de cette région brésilienne frappaient des galets de quartz entre eux. "Il est vrai que certaines fractures rappellent ce que l’humain peut produire, reconnaît Antoine Lourdeau, préhistorien au Muséum national d’histoire naturelle. Mais les singes ne sélectionnent pas les galets en fonction de leur qualité interne. En plus, nous n’avons pas la certitude que des capucins vivaient là à cette époque." Pas assez pour convaincre Michael Waters, partisan de la théorie "officielle", la chronologie intermédiaire : "Il n’y a pas de foyer, pas d’ossements humains, des capucins et une falaise, ça fait trop de contre-indices." Le plus vieux fossile humain découvert dans le Montana, à Anzick, date de 12 500 ans. Si l’on avait des restes humains plus anciens, ce serait une victoire pour les partisans de la chronologie longue. "Ne serait-ce que de trouver une dent, ce serait le jackpot, explique Antoine Lourdeau. Mais en zone tropicale, au bout de 500 ans, les ossements sont presque déjà détruits."

L’archaïsme des technologies découvertes

Un autre élément vient nourrir les oppositions à l’allongement de la chronologie : l’archaïsme des technologies découvertes. "Elles ressemblent à celles découvertes en Afrique il y a deux millions d’années. C’est difficile d’imaginer Sapiens avec ce type d’outils", affirme Michael Waters. Les tenants de la chronologie longue objectent qu’il n’y a pas forcément de linéarité dans le développement des techniques. "En plus, en zone tropicale, c’est plutôt le végétal l’élément central, rappelle Antoine Lourdeau. Peut-être disposaient-ils de techniques complexes à base de bois qui ont disparu." "Nous ne pouvons pas expliquer nos découvertes avec les modèles actuels et c’est ce qu’on nous reproche ! s’indigne Antonio Pérez-Balarezo. Pour nous, les faits sont ce qu’il y a de plus important, même si on ne peut les expliquer. J’ai l’impression que certains collègues cherchent d’abord un modèle conforme à leurs propres attentes avant d’étudier les faits."

Le fond de cette discorde serait donc une impossibilité de remettre en cause un modèle ? "Nous sommes plutôt face à différentes écoles de pensée, modère Christelle Lahaye. Des générations de préhistoriens ont été formées avec ce modèle intermédiaire qui expliquait tout ce qu’on observait. Il est donc d’autant plus difficile à remettre en cause." Dans l’autre "camp", on assume volontiers cette position conservatrice : "C’est vrai, confirme Yan Axel Gomez Coutouly. Il faut donc encore plus de preuves pour déconstruire ce modèle. Et pour le moment, elles manquent."

Dans les années 2000, des généticiens ont étudié les populations actuelles amérindiennes. Selon leurs résultats, tous les peuples natifs des Amériques (Mayas, Comanches, Quechua…) sont des descendants d’une branche humaine née en Asie. Les ancêtres des Amérindiens sont issus d’une branche qui a lentement divergé avant de se distinguer totalement génétiquement de la branche mère… il y a 21 000 ans ! Donc leurs ancêtres n’ont pu rejoindre l’Amérique qu’après cette date. A moins qu’il y ait eu d’autres humains sur le continent précédemment, mais que leur lignée ait fini par s’éteindre, faute de descendance. "Ces pionniers n’auraient donc pas persisté. La migration réussie a eu lieu plus tard, explique Michael Waters. Dans ce cas, pourrait-on vraiment dire que ce sont les premiers Américains ?" Ce débat-là non plus n’est pas tranché.

Trois théories sur le peuplement du continent américain

1/ Les tenants de la chronologie courte

Ils considèrent que les tous premiers humains modernes à avoir gagné le continent américain étaient les membres de la culture Clovis (du nom d’un site du Nouveau-Mexique). Cette population, arrivée par le passage émergé du détroit de Béring, a gagné l’Amérique du Nord via le corridor qui s’est ouvert vers 13 000 BP entre les deux énormes glaciers qui couvraient le nord du continent, avant de gagner le Sud.

2/ Les adeptes de la chronologie intermédiaire

Mais la découverte de sites plus anciens en Amérique au sud a convaincu la plupart des préhistoriens d’adhérer à la chronologie intermédiaire arguant que des humains avaient gagné le continent, à partir de 18 500 BP, en longeant les glaciers par la côte, le long de "l’autoroute du varech" (Kelp Highway), vivant de pêche, de coquillages et de la chasse d’animaux marins.

3/ Les défenseurs de la chronologie longue

Ils estiment que les sites découverts datés pour certains de 50 000 ans, en Amérique du Sud, sont d’origine humaine et indiquent une arrivée bien plus ancienne, toujours via la Béringie.