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Mayas, autodestruction d'une civilisation Part.1

 

Mayas, autodestruction d'une civilisation

Stéphane Foucart

Source - http://www.lemonde.fr/week-end/article/2011/06/17/mayas-autodestruction-d-une-civilisation_1537160_1477893.html

 

 

Tikal, une des plus grandes cités mayas de la période classique, a perdu 90 % de sa population en moins de deux générations, au IXe siècle.RD Hansen/Fares

Des pyramides gigantesques perdues dans la forêt pluviale ; des temples oubliés envahis par la végétation ; d'imposants blocs de calcaire renversés par les racines d'arbres centenaires. Les images d'Epinal de cités majestueuses reprises par la jungle et la nature sauvage en ont fait l'une des plus captivantes énigmes archéologiques. Pourquoi, vers 850 de notre ère, la civilisation maya classique a-t-elle sombré ? A quelle catastrophe ou quel enchaînement d'événements peut bien tenir ce qui nous semble la fin d'un monde ? En quelques décennies, les dynasties s'éteignent, des centaines de cités-Etats se vident de leur population, des régions habitées pendant un millénaire voient leurs habitants partir pour ne plus revenir. Le pourquoi et le comment de cet effondrement seront au cœur d'un colloque international organisé au Musée du quai Branly les 1er et 2 juillet, dans la foulée de l'exposition "Mayas, de l'aube au crépuscule".

Il faudra cependant plus d'un colloque pour trancher ces questions. Elles hantent les chercheurs depuis presque un siècle, sans qu'aucun consensus ne se dégage. Bien sûr, certaines théories n'ont plus guère de partisans : épidémies fulgurantes, "invasions barbares", tremblements de terre en série… Toutes les causes simples et exogènes sont désormais écartées de manière quasi certaine. Reste une combinaison de facteurs régulièrement invoqués : sécheresses en cascade, remise en cause du statut des rois, récurrence de conflits meurtriers entre les principales cités-Etats qui se partagent, via de complexes systèmes d'allégeance, la grande région centrée sur l'actuel Guatemala.

Chaque cité semble avoir vécu une agonie particulière. Ici, la guerre a été prépondérante. Là, une forte baisse des rendements agricoles a peut-être primé. Ailleurs encore, le détournement de voies commerciales a pu avoir son importance… "Mais le problème, à se dire qu'un grand nombre de facteurs régionaux ont ainsi été impliqués, c'est que nous avons quand même bien affaire à un effondrement généralisé, rappelle Dominique Michelet (CNRS, université Paris-I), qui a dirigé pendant une décennie les fouilles de Rio Bec, au Mexique. Toutes les cités-Etats des basses terres s'effondrent dans un laps de temps assez court. Il faut tenir compte du caractère global de ce phénomène." Manquerait donc au moins une pièce au puzzle.

Pour Richard Hansen (université de l'Idaho), "un effondrement est toujours causé par plusieurs facteurs". "Mais la particularité d'un tel effondrement est que la population, une fois qu'elle a quitté les centres urbains, n'y revient pas, ajoute l'archéologue américain. Cette absence de toute réinstallation ne peut être le fait que d'une dégradation de l'environnement : les gens ne reviennent pas simplement parce qu'ils ne le peuvent pas. Aujourd'hui, si personne ne retourne vivre à Tchernobyl, c'est parce que l'environnement ne le permet pas."

DES INDICES SAISISSANTS

 

Une jarre miniature remplie de perles et de coquillages a été découverte au pied d'un édifice de Naachtun. C'est une offrande d'abandon des lieux faite par les habitants.Projet Naachtun 

Comment une ville se vide-t-elle ? Les fouilles franco-guatémaltèques menées depuis deux ans sur le site de Naachtun, dans l'extrême nord du Guatemala, commencent à donner quelques indices saisissants. Et assez contre-intuitifs. Dans la phase la plus tardive de l'occupation de la ville, entre 800 et 950 de notre ère, certaines populations, sans doute des familles nobles, se regroupent dans le centre de la cité, dans des habitations construites autour de plusieurs patios.

Un édifice de prestige – une pyramide quasi verticale d'une quinzaine de mètres de hauteur – surplombe ce complexe. Or, en la dégageant, les archéologues réalisent qu'elle n'est pas fonctionnelle : il y manque l'escalier qui doit permettre de monter au sommet, sur la plate-forme. Manque, également, le temple sommital. "Le bloc maçonné sur lequel devait s'appuyer l'escalier est bien là, mais la pose des marches n'a pas eu lieu", dit Dominique Michelet, qui a fouillé le secteur. Mieux : en dégageant la base de l'édifice, les chercheurs découvrent au pied de l'escalier inachevé, raconte Philippe Nondédéo (CNRS, université Paris-I), le directeur de la mission, "une jarre miniature en céramique, remplie de perles de coquillages spondyles". Cette manière de placer un objet de valeur au pied d'un édifice sur le point d'être abandonné relève d'un rituel bien connu des spécialistes : c'est une "offrande d'abandon", déposée dans le cadre d'un rituel, sorte d'ultime offrande au monument qui entre en déshérence. Non seulement le chantier de la pyramide n'a pas été mené à son terme, mais ses commanditaires en ont pris acte en l'abandonnant rituellement, selon la coutume.

"Cela signifie deux choses, explique Philippe Nondédéo. D'une part, les habitants n'ont pas quitté la cité dans la précipitation ou la panique : dans l'un des palais de la ville, nous avons aussi découvert de grands encensoirs, brisés dans le cadre d'un autre de ces rites d'abandon. D'autre part, au moment où ils semblent quitter les lieux, ils ont encore accès à des biens de grande valeur." Les presque cinq cents perles "offertes" à la pyramide inachevée proviennent en effet de la côte Pacifique, à quelque 500 kilomètres de là.

Ce n'est pas le seul élément indiquant la prospérité de la cité jusque tard dans son histoire. "On a également trouvé de l'obsidienne de Zaragoza et d'Otumba, gisements situés à plus de 1 200 kilomètres de Naachtun à vol d'oiseau !", ajoute Dominique Michelet. Des aiguillons de raie – utilisés dans les rituels d'autosacrifice, au cours desquels des nobles faisaient couler leur sang en se perçant la langue ou le pénis –, des céramiques importées, du jade, des meules en granit du Belize… Même à son crépuscule, Naachtun continuait de disposer de toutes sortes de biens précieux.

FUITES EN MASSE

A l'image de Naachtun, certaines villes semblent avoir été abandonnées en bon ordre. On part en ne laissant que peu de choses derrière soi. Ce n'est pas le cas partout ailleurs. Plus au sud, des régions semblent en proie au chaos qui suit de près les conflits armés. Dès le milieu du VIIIe siècle de notre ère, avant que ne s'effondre le reste de la région, les cités d'Aguateca, Dos Pilas et Cancuén sont ravagées par la guerre. Leurs populations fuient en masse.

"A Dos Pilas, la population démantela elle-même une grande partie de ses propres temples et palais dans une tentative désespérée d'ériger des barricades de pierre, mais en vain, car la cité fut détruite, écrit Arthur Demarest (université Vanderbilt), dans sa contribution au colloque. Non loin, le centre d'Aguateca se dressait sur un escarpement quasi imprenable, bordé, d'un côté, de falaises et d'un abîme, et, de l'autre, de kilomètres de murailles. Cette cité résista plus longtemps, mais finit par être prise et brûlée vers l'an 800." "Plus au sud, sur les rives du fleuve de la Pasión, le riche port de commerce de Cancuén, florissant entre 750 et 800, fut à son tour détruit, ajoute l'anthropologue américain. Son roi, la reine et plus de trente nobles furent assassinés dans un grand rituel à l'issue duquel leurs corps, revêtus de leurs plus beaux atours, furent déposés dans une citerne sacrée."

Entre Naachtun et Dos Pilas, Aguateca ou Cancuén, il semble n'y avoir rien de commun. D'un côté, une population riche qui certes se rétracte dans le centre de la ville, mais qui continue à jouir d'un certain luxe et semble quitter les lieux sans précipitation. De l'autre, la guerre, la mort, le chaos. A Naachtun, les hommes abandonnent la ville relativement progressivement ; ailleurs, les populations paraissent parfois s'être évanouies avec une incroyable rapidité. "Des études de densité de l'habitat ont suggéré qu'à partir de 830 environ, Tikal [l'une des plus grandes cités des basses terres] perd 90 % de sa population en moins de deux générations", illustre Charlotte Arnauld (CNRS, université Paris-I). Comment imaginer une cause sous-jacente, commune à des situations si radicalement différentes ?

 

Le sommet du temple du Jaguar, à El Mirador, la plus grande cité maya préclassique, tombée vers 150. Le bas de la pyramide se trouve 17 mètres sous la terre.Charles David Bieber/Fares 2005 

Peut-être, pour comprendre la chute des Mayas classiques, faut-il remonter le temps de quelques siècles. Et analyser une autre crise, bien plus ancienne, celle de 150 après J.-C.. Car l'effondrement de la civilisation maya classique, vers l'an 850, n'est pour certains spécialistes rien de plus que la répétition d'un autre effondrement : celui de la période maya dite préclassique, commencée en 1000 avant J.-C.. Ainsi, lorsque Naachtun est désertée vers 950, d'autres cités alentour sont déjà abandonnées depuis huit siècles. Déjà ruinées et déjà partiellement recouvertes par la forêt. La crise des années 150 demeure toutefois localisée : elle est limitée à la région d'El Mirador, du nom du plus grand centre urbain de cette zone de l'extrême nord guatémaltèque, toute proche de Naachtun.

Qu'apprend-on de cet effondrement antérieur, celui des Mayas préclassiques ? D'abord que l'histoire des sociétés humaines n'est pas celle d'une croissance constante, d'une amélioration continue des réalisations techniques. Dans le monde maya, rien n'égalera en taille les monuments d'El Mirador, rien ne surpassera le gigantisme de son architecture. La pyramide dite La Danta, la plus grande du site, culmine à plus de 70 mètres. Elle excède en volume la grande pyramide égyptienne de Gizeh et compte au nombre des plus vastes édifices jamais érigés. Dans la région d'El Mirador, au cours de la période préclassique, tout semble avoir été construit à l'aune de cette démesure. Déjà, les grandes villes de la région – El Mirador, mais aussi El Tintal, Nakbe, Wakna – étaient connectées par "un réseau de chaussées pavées larges d'une vingtaine de mètres, surélevées de 4 à 5 mètres et qui pouvaient raccorder des centres distants d'une vingtaine de kilomètres", dit Philippe Nondédéo. A son apogée, El Mirador a pu compter des dizaines de milliers d'habitants.

  PART.2

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