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Ötzi, homme des glaces vieux de 5 300 ans, était infecté par une bactérie « asiatique »

Hervé Morin

Source - http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/01/07/otzi-homme-des-glaces-vieux-de-5-300-ans-etait-infecte-par-une-bacterie-asiatique_4843593_1650684.html#xtor=AL-32280515

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Ötzi aurait-il fini par succomber à un cancer de l’estomac s’il n’avait pas été tué par une flèche ? Une étude publiée dans la revue Science, vendredi 8 janvier, montre en tout cas que le célèbre « Homme des glaces », retrouvé momifié à la frontière italo-autrichienne en 1991, était porteur d’une bactérie, Helicobacter pylori, responsable de 80 % des ulcères gastroduodénaux – et dont le génome a pu être séquencé.

Il y a 5 300 ans – l’âge donné à Ötzi par la datation au carbone 14 –, on peut supposer que la quasi-totalité de la population de l’âge du cuivre était infectée par cette bactérie. « C’était encore le cas en Europe au XIXe siècle, avant que les conditions d’hygiène s’améliorent, et que l’usage des antibiotiques réduise de moitié la prévalence de l’infection », rappelle Francis Mégraud, directeur du Centre national de référence des campylobacters et hélicobacters, à Bordeaux, qui fait partie des signataires de l’article de Science« Ce qui est plus remarquable, souligne-t-il, c’est que les outils d’analyse génétique aient permis d’en retrouver la trace sur une momie aussi ancienne, au point même de déterminer la souche à laquelle elle appartenait. » A la surprise des chercheurs, elle présente un profil « asiatique », alors que la souche aujourd’hui présente en Europe est un hybride entre des lignées africaine et asiatique.

Marqueur des migrations humaines

C’est qu’Helicobacter pylori n’est pas seulement un agent pathogène, dont le rôle dans la survenue des ulcères a été mis en évidence par une spectaculaire auto-infection volontaire de l’Australien Barry Marshall – ce qui lui a valu le Nobel de médecine en 2005 avec son compatriote Robin Warren. Ce germe qui fait le lit des cancers de l’estomac est aussi devenu un marqueur des migrations humaines au fil des âges. L’idée en revient à l’Allemand Mark Artman : en analysant les variations des gènes d’H. pylori dans différentes populations humaines, ne pourrait-on pas en inférer des mouvements passés de leurs ancêtres, s’est-il demandé ?

Une étude publiée en 2003 dans Science – dont Francis Mégraud était aussi cosignataire – distinguait ainsi sept populations du microbe ayant des distributions géographiques distinctes, et faisait le lien avec d’anciens épisodes migratoires, comme l’expansion bantoue en Afrique, la traite des esclaves, ou l’introduction de l’agriculture en Europe. « On s’intéresse aux gènes les plus indispensables de la bactérie et donc qui évoluent peu au fil du temps », explique Francis Mégraud. Les différences entre souches sont donc le signe de divergences plus ou moins anciennes depuis un ancêtre commun, et permettent de dresser une sorte d’arbre généalogique de la bactérie. C’est ainsi qu’on a estimé qu’H. pylori accompagnait l’humanité depuis au moins 100 000 ans.

Quand en 2010, à l’orée du vingtième anniversaire de la découverte d’Ötzi, il a été décidé de le décongeler pour procéder à de nouvelles analyses, les « hélicobactériens » ont naturellement souhaité être de la partie, pour voir si leurs reconstitutions a posteriori pourraient être confortées par des données d’époque. Des études antérieures avaient bien analysé le « bol alimentaire », le dernier repas d’Hibernatus (céréales, cerf et bouquetin), mais son estomac lui-même et les microbes qui le peuplaient étaient restés inaccessibles. D’autres spécialistes s’intéressaient à la prostate, au cerveau, etc. Au musée de Bozen-Bolzano (Italie), « nous étions tous comme dans une salle d’opération, avec le harnachement qu’on peut imaginer », pour éviter les contaminations, se souvient Francis Mégraud. Mais les prélèvements effectués n’ont d’abord rien donné, regrette-t-il, s’excusant « de n’avoir pas fait grand-chose » dans la présente étude.

4843592 6 8985 image aux rayons x de l estomac et de 0c49b4dd7b2ff659d20fec8c58b44a1dImage aux rayons X de l'estomac et de l'intestin d'Ötzi. Central Hospital Bolzano

Souche hybride

Il a en effet fallu attendre l’avènement de nouvelles techniques d’analyse de l’ADN ancien pour qu’un groupe viennois finisse par identifier la bactérie et la compare aux souches modernes. « On savait donc qu’il y avait eu un mélange entre populations africaines et asiatiques, à l’origine de la souche hybride actuelle en Europe, mais on ignorait quand il avait eu lieu, a ainsi rappelé Yoshan Moodley (université de médecine vétérinaire de Vienne) lors d’une conférence téléphonique. On sait maintenant qu’à l’époque de l’Homme de glace, les migrations qui allaient apporter la part de l’héritage de ces H. pylori depuis l’Afrique n’avaient pas eu lieu. »

Si Ötzi est porteur d’une souche proche de lignées présentes aujourd’hui en Inde, cela ne signifie pas qu’il descendait de populations venant de si loin en Asie, préviennent les chercheurs. « Nous avons nommé cette lignéeasiatique parce que c’était le seul endroit où nous l’ayons trouvée jusqu’ici », précise Yoshan Moodley. « Mais cette appellation est malheureuse : elle était déjà présente dans l’Europe préhistorique, nous apprend Ötzi », dont il rappelle qu’il a livré la plus ancienne souche connue d’Helicobacter pylori.

L’Homme des glaces, dont on sait qu’il avait entre 40 et 50 ans lors de sa mort, un âge respectable pour l’époque, ressentait-il l’infection bactérienne ? Les analyses ont bien mis en évidence une réponse immunitaire spécifique, mais il est impossible de dire s’il avait bien un ulcère, notent les chercheurs, qui restent plus généralement prudents dans leurs conclusions en raison « de la taille de l’échantillon (n = 1) ».

Ils espèrent affiner leur connaissance des migrations conjointes d’Homo sapiens et de la bactérie en élargissant le spectre. « Nous sommes en contact avec des collègues qui possèdent des momies naturellement conservées, en Afrique du Sud, en Asie et en Corée du Sud, ou d’Europe du Nord, dont l’estomac est préservé, contrairement à celles d’Egypte », indique ainsi Albert Zink, de l’Institut des momies et de l’Homme de glace de Bolzano, l’un des auteurs de l’étude de Science. Francis Mégraud rêve, lui, en dehors de ses recherches sur les cancers gastriques, d’analyser des H. pylori basques, pour voir s’ils pourraient nous renseigner sur l’origine mystérieuse de cette population…