La surprenante découverte d'une chercheuse marseillaise
Les Roméo homo-sapiens ont "charmé" des Juliette néanderthaliens, selon une chercheuse marseillaise qui participe à une publication internationale
Philippe Larue
Source - http://www.laprovence.com/article/edition-marseille/2283871/les-amants-de-verone-version-prehistorique.html
C'est avec ce fossile de menton découvert dans la région de Mezzena, près de Vérone, que l'histoire des origines se réécrit.
Un peu de romantisme dans un monde préhistorique de brutes. Une chercheuse marseillaise, directeur de recherche au CNRS, vient de réinventer, avec une équipe de six chercheurs, le mythe de Roméo et Juliette aux origines de l'humanité.
Et cela simplement avec l'étude d'un menton de néanderthalien, mis au jour en 1957 à Riparo di Mezzana (Italie), et conservée au musée d'histoire naturelle de Vérone, la ville des deux amants éternels. Étude qui fait l'objet d'une publication aujourd'hui dans la prestigieuse revue scientifique en ligne Plos One.
"Cette mandibule avait été oubliée durant des années avant d'être 'redécouverte' pour un projet de recherche sur les fossiles humains de Vérone en 2010, raconte Silvana Condemi, responsable de l'équipe de paléoanthropologie et bioanthropologie au sein d'ADES-UMR 7268 d'Aix-Marseille Université. J'ai travaillé sur ce menton plein de ressources avec Aurélien Mounier, un chercheur en post-doc et des collègues italiens et du Royaume-Uni en croisant nos compétences avec des méthodes innovantes."
La préhistorienne a pu montrer, grâce à la morphométrie géométrique et à l'analyse de l'ADN, que ce fossile de Vérone ne présentait pas, au niveau du menton, les caractéristiques "fuyantes" propres au néanderthalien et même son absence, mais bien celles habituellement propres à l'homo sapiens, avec déjà une proéminence visible.
Un métissage préhistorique
"L'analyse de l'ADN mitochondrial contenu dans le fossile, qui est transmis de la mère à l'enfant montre l'union des femmes néanderthaliennes avec nos ancêtres, des hommes homo sapiens, reprend Silvana Condemi. En clair qu'il y a eu un métissage, même à faible échelle, 38 000 ans avant notre ère, dans cette région de l'Italie, comme encore aujourd'hui autour de la Méditerranée."
Bien sûr, cela n'a pas dû forcément se passer en douceur et avec moult manoeuvres de séduction. L'homme homo sapiens a dû emporter dans sa caverne une néanderthalienne pas forcément d'accord. Version rapt des Sabines, en même temps que Roméo et Juliette en quelque sorte.
Selon la chercheuse, les homo sapiens qui se sont implantés dans la région de Mezzana, près de Vérone, qui bénéficiaient d'un microclimat favorable non loin du lac de Garde, étaient une première vague migratoire qui venait d'Afrique en passant par le Proche-Orient puis la Turquie et la péninsule balkanique. Suivie par d'autres, par la région du Danube et au total, la cohabitation a été longue dans certaines régions européennes entre les deux hommes préhistoriques.
Une histoire évolutive
"En fait, cette découverte permet de montrer que l'histoire des néanderthaliens, après qu'ils ont vécu sans partage en Europe durant 200 000 ans, est aussi une histoire évolutive, avec un débat toujours vif sur la disparition de cette population."
L'autre aspect "révolutionnaire" de cette étude porte sur les techniques propres aux néanderthaliens et aux homo sapiens. En effet, le fossile de Mezzana a été découvert dans un secteur moustérien (appelé ainsi pour une technique de taille découverte à Moustiers où l'homme préhistorique imaginait son outil dans la pierre). C'était une tradition de taille propre aux néanderthaliens.
Le "métis" avec son début de menton homo sapiens n'avait pas adopté les techniques "aurignaciennes" (de la commune d'Aurignac), très différente par ses retouches écailleuses et l'utilisation d'os. Il a gardé sa culture et le changement biologique dont il témoigne n'est pas lié à des changements techniques, allant à l'encontre d'une thèse souvent évoquée.
Roméo et Juliette des temps ancestraux, votre caverne est riche de surprises.