Samuel Provost / Valérie Serdon-Provost / Université Lorraine
Source - http://arula.hypotheses.org/750
Vue aérienne de la fouille en juillet 2012 (©M. Perreaux, Mairie de Verdun)
Rappel des objectifs généraux, des enjeux de l’opération
Depuis 2011, des enseignants-chercheurs de l’université de Lorraine (EA 3945 CRULH et EA 1132 HISCANT-MA) conduisent, sous l’égide de la MSH Lorraine, un programme de recherche archéologique sur la citadelle de Verdun, en partenariat avec l’INRAP. Dans le cadre limité de ce programme, une évaluation du potentiel archéologique dans la zone du complexe abbatial Saint-Vanne de Verdun est proposée afin d’établir une chronologie d’occupation et préciser la nature et l’état de conservation des vestiges. La fouille devrait enrichir la connaissance de l’évolution de l’abbaye (notamment de l’église, des bâtiments conventuels, de l’enceinte monastique et du cimetière), du bourg abbatial et de sa relation avec le castrum ainsi que l’occupation antique présumée (rempart, nécropole, basilique et voie en particulier). À terme, cela devrait permettre de réévaluer la topographie historique de la ville.
Plan général de la fouille de Saint-Vanne (état 2012)
Avancement de l’opération
Pour la campagne 2012, quatre objectifs avaient été clairement définis :
1) Préciser l’emprise du dernier état de l’abbatiale (apparaissant sur les plans du Génie vers 1830) et la situer par rapport aux bâtiments modernes (notamment le grand bâtiment de troupe Beaurepaire daté de 1834 risquant d’avoir entamé le chevet)
2) Dresser un premier bilan de l’état de conservation des substructures architecturales
3) Dater de façon objective les étapes de construction du bâtiment dégagé puisque les documents iconographiques font apparaître des éléments romans et gothiques. Mettre au jour d’éventuelles constructions plus anciennes relatives aux édifices de culte qui auraient précédé l’implantation de l’abbaye, un peu avant l’an Mil.
4) Confirmer — comme le suggèrent les premiers sondages et les « fouilles » anciennes — que le bâtiment s’intègre dans un espace occupé plus vaste, laïc, et étudier les relations qu’il entretient avec les constructions antérieures mais aussi la position et l’orientation de sépultures associées (dont la présence a été établie par F. Gama).
Description des résultats obtenus en 2012 par rapport aux objectifs du projet et de l’année
Tombe-coffre de la nécropole sud de Saint-Vanne
La première campagne a déjà amené quelques réponses tout en obligeant l’équipe à réévaluer, au fur et à mesure, ses priorités, eu égard à la nature des découvertes qui n’ont pas été d’emblée « lisibles », notamment les sépultures aménagées dans le substrat rocheux. De plus, la mise en évidence de nombreux réseaux d’adduction d’eau modernes et d’une carrière laissaient présager de vastes destructions.
Parmi les acquis notables, on peut souligner l’occupation du haut Moyen Âge confirmée dans une zone proche de ce qui allait devenir l’abbatiale à l’époque romane puis gothique. L’aspect le plus remarquable, en effet, est la découverte de mobilier bien daté dans quelques sépultures privilégiées mérovingiennes (période MA 1 — 480-520) qui n’avaient pas été pillées ou seulement en partie. La chronologie d’extension de la nécropole reste à préciser (de même que ses liens avec un lieu de culte contemporain présumé) car les tombes sont loin d’avoir toutes livré un dépôt funéraire ou du mobilier datant. Quelques prélèvements ont été faits sur des ossements pour pouvoir établir des datations 14C. Une sépulture en coffre a été fouillée et peut être le début d’une structure à hypogée. Les ossements sont en général très mal conservés, quelques-uns ont même été dispersés dans des couches remaniées par des aménagements récents. Ce surcreusement explique que les niveaux supérieurs d’occupation aient disparu dans ce secteur et que les niveaux mérovingiens affleurent. Tous marquages éventuels des sépultures en surface ou de structures funéraires légères en bois par exemple, ont, de fait, disparu.
De la nef et du mur gouttereau sud de l’édifice encore en élévation au début du XIXe siècle, il ne reste rien. Tous les éléments connus d’après les plans et les gravures anciens ont disparu, récupérés vraisemblablement par le Génie à un moment où le besoin en matériau était impératif (construction du grand bâtiment de troupe Beaurepaire en 1834). Côté sud, l’église abbatiale a été démontée pierre par pierre jusqu’aux fondations. Aucune trace de mortier n’est visible sur le rocher mais il est vrai que la nature du calcaire ne simplifie pas la lecture.
Massifs de maçonnerie du chevet (?)
Description de l’évolution des objectifs et de l’opération ; organisation et réalisations prévues pour l’année 2013
Au-delà des questions de chronologie et d’organisation des espaces d’inhumation et de leur rapport avec un éventuel lieu de culte, cette enquête permettra de préciser les référentiels typologiques en matière de mobilier, notamment céramique, et d’intégrer des données anthropologiques dans les bases de données régionales. Elle permettra de préciser les observations menées sur la gestion topographique du cimetière en fonction de l’âge au décès et du sexe, l’état sanitaire des populations ou les pathologies. Une réflexion sera d’autre part menée sur la réorganisation des lieux dévolus aux morts, en particulier le passage de l’inhumation ad sanctos, près des corps saints, au lieu imposé comme le cimetière paroissial Saint-Remi, proche, mais qui reste à localiser. D’autre part, la typologie des contenants funéraires, notamment les sarcophages en pierre, sera l’occasion d’une étude des matériaux et des techniques de mise en œuvre, ouvrant des perspectives économiques et culturelles.
De plus, la compréhension de l’accomplissement technique et artistique relatif aux différentes phases de construction de l’abbatiale passe par l’étude du chevet qui fera l’objet d’une attention particulière. Un massif maçonné hémicirculaire avec des réemplois romans a été mis au jour cette année : il s’agira de préciser sa relation avec un sol et deux négatifs de piliers découverts. L’enjeu de ce secteur est de percevoir les aménagements antérieurs à l’état gothique tardif de l’abbatiale (état roman voire du haut Moyen Âge de l’édifice). Au-delà des seuls indices stratigraphiques, cette recherche s’appuie sur l’inventaire systématique des éléments architecturaux (fragments de nervures, de colonnettes, de remplages, de décors sculptés), sur les traces relatives aux modes de couverture, voire d’indices plus ténus de constructions en matériaux légers (négatifs de construction en bois, surtout pour le premier Moyen Âge).
Structure hypogée en cours de fouille
Dans les années prochaines, la prospection géoradar déjà réalisée en 2011 sera doublée par d’autres méthodes géophysiques (magnétique et électrique) pour planifier, comme il avait été envisagé durant la dernière année de fouille, l’implantation de sondages dans la zone du cloître et de la cour ouest de l’abbaye. Une enquête paléo-écologique a pour ambition de tenter de restituer l’aspect des paysages, avant et pendant l’occupation du site. Une étude géologique et géomorphologique devrait permettre de percevoir la topographie du site avant les aménagements anthropiques comme les terrassements importants — s’évaluant en mètres — de l’époque moderne. Elle sera doublée d’une étude pédologique en vue de déterminer le potentiel agricole et les principales catégories de terroirs. L’évolution du couvert végétal sera appréciée par la détermination des pollens, des paléo-semences et des macro-restes végétaux contenus dans les sédiments prélevés et les couches archéologiques tamisées. Une réflexion sera menée sur la déforestation autour de l’abbaye — pour les besoins en bois d’œuvre ou tout simplement dans le cadre d’une politique extensive des aménagements humains — et sur la mise en culture, en vigne ou en céréales, en fonction des moyens dont elle disposait et des nécessités alimentaires.