Propos recueillis par Victoria Gairin
Source - http://www.lepoint.fr/insolite/un-bateau-de-l-age-de-bronze-retrouve-en-mediterranee-18-03-2014-1802436_48.php
Grâce à la vigilance d'un pêcheur de Zambratija, en Croatie, une équipe d'archéologie sous-marine a mis au jour une épave datant du XIIe siècle avant J.-C.
Un plongeur procède à l'étude de l'épave, à Zambratija, en Croatie. © Philippe Groscaux / AMU-CNRS, Centre Camille Jullian
"C'est une découverte extraordinaire." Giulia Boetto, archéologue navale et chargée de recherche au CNRS, peine à contenir sa joie. Il faut dire que ces derniers mois, avec son équipe du centre Camille Jullian d'Aix-en-Provence, elle est allée de surprise en surprise. Tout commence en 2008 lorsque deux de ses collègues croates (Ida Koncani du musée archéologique d'Istrie et son époux Marko Uhac du ministère de la Culture), qui procèdent alors à des fouilles en Istrie, croisent la route d'un pêcheur du petit village de Zambratija. Christian Petrucci, qui part chaque jour pêcher au large, connaît la baie comme sa poche. L'embarcation échouée à 600 mètres de la plage, bien sûr qu'il l'a déjà vue, mais pour lui comme pour tous les marins qui potinent dans le port, il s'agit ni plus ni moins d'un bateau moderne malencontreusement ensablé à deux mètres sous le niveau de la mer. Koncani et Uhac veulent en avoir le coeur net. Et plongent pour remonter un échantillon et effectuer les premières datations au carbone 14. Surprise : le bateau serait antérieur à l'époque romaine. Giulia Boetto rejoint le couple avec son équipe en 2011 et propose d'affiner la date. Après quelques années d'analyses et d'arrêt du chantier, la nouvelle finit par tomber : on est sur une période bien antérieure encore, plutôt vers le XIIe siècle avant J.-C., soit l'âge du bronze ! Pour Le Point.fr, l'archéologue revient sur cette formidable découverte, et les perspectives de recherches qu'elle peut offrir. Interview.
Le Point.fr : En quoi cette découverte est-elle intéressante ?
Giulia Boetto : Il est extrêmement rare de retrouver une épave datant de l'âge du bronze. Vous allez me dire qu'on a exhumé des bateaux datant d'il y a six mille ans. Ce qui est parfaitement exact. Mais il s'agissait alors de pirogues creusées dans des troncs et retrouvées dans des fleuves. Là, on a affaire à une construction tout à fait particulière, typique de la mer Adriatique : un bateau "cousu". Paradoxalement, alors que le mer Méditerranée était au coeur des échanges commerciaux, qu'elle a vu prospérer les civilisations grecque, romaine, mais aussi mycénienne et phénicienne, on y a retrouvé très peu de choses. Il y a bien l'épave d'Uluburun, enTurquie, datant du XIVe siècle avant J.-C., mais ses fouilles, quoique passionnantes du point de vue de la cargaison, n'ont livré qu'un petit fragment de coque, qui n'a pas suffi pour se faire une idée précise du navire.
Qu'appelez-vous un bateau "cousu" ?
C'est une technique de construction navale pratiquée dans l'Adriatique jusqu'à l'époque romaine. Elle consiste à faire tenir les planches de la coque entre elles en effectuant comme une "couture" avec des ligatures et des cordelettes végétales. Ces cordelettes sont glissées dans les trous qui parsèment les planches et permettent ainsi de consolider le tout. C'est précisément ce qu'on a voulu montrer sur les photos en mettant en évidence, à l'aide de punaises blanches, les points de couture encore visibles sur l'épave. Il ne reste du bateau qu'environ 7 mètres de long sur 2,50 mètres de large, mais ce qui est étonnant, c'est la qualité de la conservation. Cette technique du "cousu" implique, en général, un pourrissement des liens. Ici, ils sont relativement bien conservés, et ce jusqu'en haut de la coque pour un côté du bateau. Parmi les arbres utilisés, on a identifié l'orme, l'aulne et le sapin. Tous ces éléments nous permettent aujourd'hui de finaliser un modèle 3D. Et peut-être demain une reconstitution complète.
La baie de Zambratija ©Philippe Groscaux, AMU-CNRS, Centre Camille Jullian
Comment trouver des informations sur l'origine de cette épave ?
Grâce à la technique et à la façon d'agencer les liens pour fixer les planches entre elles, typiques des Histri et des Liburni, on peut affirmer avec certitude qu'il s'agit d'une construction locale. Mais ce qui peut devenir très intéressant, ce sont les découvertes des archéologues croates à quelques centaines de mètres des restes du bateau. Sur un vaste périmètre de plus d'un hectare, on peut observer de nombreux pieux de bois, qui laissent présager d'anciennes habitations sur pilotis. Après analyse des relevés bathymétriques de la baie, des céramiques et des divers ossements d'animaux découverts sur place, il semblerait qu'à l'âge du bronze, la baie était en fait... une lagune.
Prévoyez-vous de sortir l'épave de l'eau ?
C'est une opération extrêmement délicate, mais nous allons, en effet, assez rapidement nous poser la question de l'exposition du bateau au musée de Pula. Avant cela, nous avons encore quelques analyses à effectuer. Nous attendons actuellement les résultats de la datation par les cernes du bois. Cette technique est passionnante, car elle peut donner la date de l'abattage du tronc, à l'année près.
Fouille de l'épave avec l'aspirateur de sédiments ©Philippe Groscaux, AMU-CNRS, Centre Camille Jullian